Le Chevalier de Damas.
Source: Jean 13,1-17Pourquoi avoir accepté de se faire laver les pieds par ce voleur de sandales?
Il a lancé ses deux cailloux en l'air comme s'il espérait qu'ils prennent auprès des dieux du ciel la vision qui lui manquait. Mais maintenant je suis sans sandales. Mes pieds ont froid, l'humidité les mord et je vais à Damas. Parole de chevalier, je vais y retrouver le Christ.
C'est ce qu'ont dit les cailloux lorsqu'ils sont retombés. Un rond pour le malheur, un pointu pour l'effroi: tu dois quitter Jérusalem, aller vers la nuit, quitter les lieux saints.
Mon esprit est mort. Seul l'anéantissement me tient lieu de volonté.
Il me maintient debout, mais perclus d'ombre.
Comment distinguer celui dont l'humilité béni de celui qui a juste besoin que ma vanité le relève?
Seigneur, pourquoi avoir mis sur mon chemin un voleur de sandales?
Me faut-il vraiment affronter la nuit?
J'ai crû à ta gentillesse, ô toi dont le Nom reste au bord de l'univers qu'il envahit.
J'ai pensé qu'un Dieu soucieux de ses créatures au point de vouloir les servir méritait l'adoration la plus irrémédiable. Le don de soi. Mais j'ai vraiment froid aux pieds désormais et je sais pourquoi tu as laissé un autre va-nu-pieds me voler mes sandales.
Pour parvenir jusqu'à Jérusalem, ta main a dû m'ouvrir une route à la surface de l'eau.
Pourquoi me regardes-tu comme ça?
Je sens ton regard comme une bête traquée peut sentir l'attention du chasseur caché à sa vue.
Je sais pourquoi tu as accepté que l'on me vole mes sandales. Tu as compris que je voulais venir en étant le plus parfait possible pour me présenter à ta vue . Tu as compris que vouloir être parfait était de ma part une tentative de séduction. Alors tu as voulu m'aider. Que je vienne vers toi comme je suis, avec ma crasse d'homme. Tu as voulu que je sache que je ne devais pas tenter de te posséder. Mais je ne puis me résoudre à venir dans le froid et dans la mort alors que je te cherche dans la joie et l'extase.
Alors j'ai accepté de tourner le dos aux lumières de la ville sainte et de me rendre à Damas.
Pieds nus.
Seigneur: comment vais-je faire sans toi?
Puis-je aussi te trouver là où il n'y a pas d'extase?