La tunique du Christ.
Source: Luc 23,34Il était seul au milieu de l'arène.
''Pour toi, Claude le bègue, petit fils de Marc Antoine: quelle ironie que tu me fasses donner le rudius. Le glaive de bois qui symbolise la liberté pour les gladiateurs qui ont su mériter de l'empire.
Pour fêter les huit cents ans de la naissance de Rome, tu inaugures aujourd'hui les ''Ludi Saeculares''. Les jeux séculaires. Et pour m'affranchir, tu m'offres la mort.
Quelle ironie pour moi qui, par le fer, ai servi sous Tibère le destin de la ville éternelle.''
''Pour toi Seigneur: mon ami Longinus a été torturé et décapité par un gouverneur devenu fou. C'est lui, Longinus, qui t'a tué, toi le Messie, en t'assénant le coup de pilum. Si je suis chrétien aujourd'hui, c'est parce que Longinus m'a ouvert les yeux. Il m'a dit qu'il avait cru en toi, Yeshoua, comme fils de Dieu et qu'il avait compris en cet instant qu'il fallait qu'un homme, enfin, éprouve pitié et compassion pour son Dieu.
C'est pourquoi il avait voulu stopper ta souffrance.
Il m'a dit que lorsque tu as expiré, il avait senti son âme brûler d'un feu nouveau, comme si tu le remerciais, non pour la mort, mais pour la bonté de te l'avoir donnée.''
Les portes de bois s'ouvrirent. Ce n'était pas les gladiateurs, c'était les lions. Ils étaient trois. Ils s'avançaient vers lui. Aucune chance, même en combattant. Et il ne voulait pas mourir en soldat.
''Seigneur, il y a une chose importante que j'ai omis de faire pour toi. Ta tunique, celle que j'ai gagnée aux dés au pied de la croix, si je ne fais pas ce que je dois, elle risque d'être perdue. Elle est ici, chez moi, à Rome. J'avais promis, s'il m'arrivait quelque chose ou si ma vie me semblait en danger, que je l'emmènerais à Jérusalem, chez un vieil ami.
Seigneur, je dois vraiment faire cela avant de te rejoindre.''
Il s'avança vers les lions qui s'arrêtèrent net. Il ne les regarda même pas, il avait la foi. Il planta le rudius dans le sable de l'arène et recula de trois pas. Puis il s'agenouilla face aux fauves et se mit en prière.
Un des lions s'avança vers le glaive en bois puis se tint assis, le glaive juste devant lui comme s'il montait la garde. Les deux autres se mirent en retrait à sa droite et sa gauche et se couchèrent au sol. C'était un spectacle à peine croyable. Dans l'arène un râle très fort s'éleva des tribunes. Ce cri un peu bestial semblait un mélange de peur, de colère et de stupéfaction.
Il y eut un souffle de vent assez fort pour que tous puissent l'entendre. Puis on vit le sable autour de lui qui commença à se prendre dans les tourbillons du vent. Bientôt une colonne de sable tourbillonna autour de lui en s'élevant haut dans le ciel. On ne le voyait plus. Les lions ne bougeaient pas.
Ceci ne dura que quelques secondes. Mais qu'importe la durée.
Peut-être la main de Dieu l'emporta-t-elle de Rome à Jérusalem. Peut-être des anges l'assurèrent-ils qu'ils allaient s'en charger eux-mêmes. Peut-être même fit-il le voyage à pied et cela lui prit-il une année. Je l'ignore. Mais lui savait, car sa joie se lisait sur son visage.
La colonne de sable diminua d'intensité puis s'évanouit complètement. Il était toujours en prière et il souriait. Le rudius, comme s'il avait été fait de sable, semblait défait, comme laminé, par le souffle du vent. À un instant, il cessa d'être visible, totalement consumé par le souffle chargé de sable qui le réduisait en poussière.
Alors le lion du centre s'avança lentement vers lui comme s'il obéissait respectueusement à un ordre. Presque délicatement, il prit son cou dans sa gueule et le lui brisa. L'homme tomba vers l'avant et son sang se rependit sur le sable. On ne retrouva jamais le glaive de bois.
Au même instant à Jérusalem, Eliaz, un très vieux rabbin, trouva une tunique posée à côté des rouleaux de la Torah. Il la reconnut immédiatement, car il avait connu jadis l'homme qui avait porté cette tunique sans coutures et aussi celui qui l'avait gagnée aux dés.