Dismas de Solesmes
Source: Luc 23,43Rédemption.
C'est le nom d'un amour que j'ai tant cherché.
Tu me connais, n'est-ce pas? Tu sais que je ne suis pas le général de cette armée. Tu sais que durant cette bataille ma chair va être scarifiée pour que puissent s'y lire les intentions de mes ennemis. Tu sais tout comme moi que nous allons perdre cette guerre que nous menons contre toi. Parce qu'il plaît à ton Père que nous la perdions.
J'ai vu tes anges arriver en multitude depuis tous les points du ciel et de la terre. Ici aura lieu la fin de l'ombre. Je sais comment ils combattent. J'en ai reconnu certains. Ils sont tellement beaux, comment les oublier?
À leur tête , il y a celui dont l'esprit combat avec son seul nom, mais dont les mots ébranlent les fondements mêmes de l'univers. Et d'autres encore qui m'ont suivi toute ma vie avec une attention bouleversante.
Ils sont tout près désormais, car leurs ailes se dessinent lorsque leur force s'appuie sur la bulle du monde. Et je vois le scintillement étrange de ta gigantesque armada d'ailes. Comment allons-nous combattre, nous simples oasis d'ombre luttant contre ta lumière?
Je te regarde, Jésus de Nazareth.
Je sais qui tu es.
Tu es sans compromis.
Comme toi, mes ennemis m'ont battu lorsque je suis tombé entre leurs mains. J'ai rejoint leur armée afin que cela cesse. Alors que toi tu as rejoint la lumière. Mon choix a été de ne pas mourir, le tien a été de mourir pour préserver ton innocence. Je vois tes plaies. Ils m'ont infligé les mêmes. Je les ai refusées, tu les as acceptées. Alors je suis rentré dans la guerre et toi tu es resté en paix.
Mes amis, ces chiots qui s'enivrent du goût du sang, ont disparu. Je ne les ai pas vus partir. Je suis seul contre vous tous. Je crois que c'est un effet de ta présence: lorsque l'on est face à toi, l'univers est à genoux.
Je te regarde, Jésus de Nazareth.
Je sais qui tu es.
Tu es pure nitescence.
Avant d'être vaincu par l'effet de ta Grâce, je vais te confier ce que j'ai de plus précieux.
Une sorte de cadeau pour toi, le plus intensément trahi de nous tous.
Toi qui as été massacré par ceux-là mêmes que ton sacrifice a sauvés.
Moi, je ne t'ai pas trahi, je t'ai combattu. Parce qu'il est plus facile ici-bas de survivre par la part du Mal que par la tienne. La tienne est la voie du courage, la voie des choix. Et t'avoir pour ami est la récompense de la mort.
Alors, prends mon âme, Fils de Dieu et amène ce minuscule, mais impérissable diamant à ton Père. Dis-lui que mon seul trésor est à lui et que ce qui y brille fut mon consolateur. Puis souviens-toi de moi, non comme d'un ennemi, mais comme d'une vie ayant intensément chéri une parcelle de ta Grâce.
Je vois que le ciel s'ouvre désormais. Ta noria d'anges s'abat sur le monde. Il semble impossible de les contenir ou de les éviter. Trop forts, trop nombreux et si beaux que je désire être vaincu.
Mon ombre meurt. Déjà mon esprit est scarifié de lumière. Je vais disparaître.
Tu me connais, Jésus de Nazareth.
Tu sais qui je suis.
Je ne suis qu'amour.